L'invasion de l'Ukraine par la Russie va entrer dans sa troisième année le 24 février. Depuis un an désormais, le conflit s'est mué en guerre de position. La ligne de front, bien que s'étalant sur 2000 kilomètres, n'a quasiment pas évoluée, mis à part quelques points de tension : sur la rive gauche du Dniepr où des soldats Ukrainiens maintiennent une tête de pont après l'abandon de Kherson par les troupes Russes, le sud de Zaporijia où il y a eu une percée de la défense Russe lors de l'été 2023 et autour d'Avdïivka, près de Donetsk, qui, comme l'aciérie Azovstal, représente un symbole à prendre (ou à conserver). Que ce soit pour l'armée, la population locale ou internationale, il y a une certaine normalité qui s'est installée. Entendre des missiles est devenu courant, on espère juste qu'ils tomberont plus loin... Normalité malheureusement régulièrement rattrapée par les nouvelles du front, jamais bonnes.
L'été 2023 fut un moment charnière quant à l'issue du conflit, avec la grande offensive Ukrainienne. Offensive avec des soldats expérimentés et entraînés, mais en sous-nombre, sans maîtrise du ciel ni du champs profond, et face à de solides fortifications défensives. Quelques tests de résistance ont été réalisés le long de la ligne de front avant une première percée au sud de Zaporijia, et puis plus rien... Plus rien ou presque, car les services spéciaux réalisent régulièrement quelques exploits en territoire occupé : élimination de gradés, destructions de bâtiment militaires (qui sont mis en scène non sans une pointe d’orgueil), destructions d'infrastructures et même la jonction de la rive gauche du Dniepr. Ajouté à cela, l'envoie régulier de drones explosifs en territoire Russe afin de rappeler à la population qu'elle est engagée dans une guerre (et pas une opération spéciale réservée aux militaires), mais également disperser les moyens d'interception ennemi. D'ailleurs, si l'Ukraine communique beaucoup sur les pertes ennemies, les chiffres de ses propres pertes sont tenus secret défense.
Face à cet échec, le commandement Russe est passé à l'offensive (et inversement l'Ukraine en position défensive). Arguant d'une nette supériorité numérique, malgré des soldats beaucoup moins bien aguerris, les assauts du côté d'Avdïivka sont quotidiens. Ailleurs sur la ligne de front, c'est l'artillerie qui est de sortie avec un pilonnage régulier des deux côtés. Ce bras de fer tourne à l'avantage de la Russie qui déploie des moyens presque illimités. D'autant plus que les "élections" présidentielles vont se dérouler en mars. Après avoir modifié la constitution, éliminé tous ses adversaires politiques (dont le plus sérieux Alexeï Navalny, prisonnier dans une colonie pénitentiaire proche du cercle arctique) et muselé toute protestation populaire, il ne fait aucun doute que Vladimir Poutine sera ré élu, d'autant plus que les Russes eux-mêmes ne sont pas vraiment prompt à aller voter. Dans cette perspective présidentielle, il est important pour le pouvoir d'offrir à l'opinion publique une victoire militaire, d'où l'intensification des combats depuis le début de l'année, même si le prix à payer en terme de vies humaines et colossal.
Quel que soit le sort d'Avdïivka, l'Ukraine n'est actuellement pas en position de négocier autre chose qu'un cessez le feu avec conservation des frontières. Mais cela ne fait pas partie des objectif du gouvernement de Volodymyr Zelensky. Avec la récente nomination d'Oleksandr Syrsky au poste de commandant en chef des forces armées, le président a clairement une volonté de réaliser une seconde offensive cet été (et probablement sa dernière chance de reconquérir ses territoires). D'où le récent élargissement de la mobilisation militaire, afin de préparer au mieux les futurs soldats appelés à combattre. Soldats qui seront forcément moins performants que la première vague (dont l'état major peine à relever). Ainsi, l'offensive est autant vouée à l'échec que la première si l'Ukraine ne dispose pas d'avantage technologique sur son adversaire. Donc, sans le soutien occidental, avec notamment des missiles longue portée, ainsi que des moyens de reprendre le contrôle du ciel (avions de combat), la défaite est déjà actée. De son côté, l'état major mise beaucoup sur les technologies de drones pour pallier à son infériorité.
Du côté du kremlin, les étoiles semblent s'aligner pour Vladimir Poutine avec les futures élections présidentielles Américaines. Comme à son habitude, l'ingérence et la désinformation Russe tourne à plein régime pour faire monter chez les Républicains un mouvement de contestation face aux milliards dépensés dans un conflit lointain. Mieux encore avec l'imbécile utile qu'est Donald Trump, qui a eu des liens étroits avec des ressortissants Russes lors de sa dernière campagne, et qui jette de l'huile sur le feu à tout va, voyant dans ce conflit une faille béante lui permettant de briguer un second mandat face à un adversaire qui a déjà un pied dans la tombe. Il n'y a pas non plus de lien officiel, mais le conflit entre Israël et le Hamas (proche de l'Iran, lui même proche de la Russie) est une autre épine dans le pied des alliés qui doivent ré orienter tout ou partie de leur effort au Moyen Orient.
Reste l'Union Européenne, qui ne s'engage pas (pour le moment) totalement, mais dont le soutien est fondamental. D'autant plus avec la montée globale de l'extrême droite, signe évident des multiples fractures de notre époque et de son contexte morose à tous les niveaux. Comparé aux autres puissances mondiales, il est forcément plus difficile de s'entendre dans une Europe multilatérale, multiculturelle, où chaque pays défend des intérêts parfois différents. La Hongrie avec Viktor Orban, dont la politique enfreint beaucoup de règles, en est le parfait exemple. Idem au niveau de l'Otan avec la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan, qui, comme une bonne partie de l'Asie, tire profit de ce conflit en jouant sur plusieurs tableaux à la fois. Car, malgré les importantes sanctions internationales, l'économie Russe tient le coup dans sa globalité. Pourtant, je ne suis pas sûr qu'une économie de guerre soit très profitable à la population en général. Les chemins qui étaient autrefois directs entre l'Europe et la Russie passent désormais par des intermédiaires, mais l'industrie Russe continue d'être alimentée. Elle utilisera, à défaut, du matériel Iranien ou Nord Coréen, eux aussi sous le coup de sanctions internationales depuis de nombreuses années...
Il serait ainsi facile de se décourager, ou de rester indifférent, surtout quand l'on n'est pas directement touché par ce conflit. Mais dans ce cas, il est peut-être bon de se rappeler pourquoi dans chaque commune Française, il y a une stèle avec comme inscription majuscule 1914-1918. Abandonner le peuple Ukrainien, c'est abandonner nos idéaux de justice et de liberté, c'est se renfermer sur nous-même jusqu'à ce que, un jour, peut-être, les troupes blanc-bleu-rouge se retrouvent sur nos propres terres. Abandonner l'Ukraine, c'est abandonner tous les peuples qui souffrent ou qui souffriront d'un conflit majeur avec leur voisin, Taïwan en tête. Abandonner l'Ukraine, c'est signifier au monde entier que l'Occident a perdu.
D'ici trois mois, ce seront les élections Européennes. L'occasion de décider de l'avenir des quelques 450 millions de personnes vivants dans l'Union Européenne, à travers 720 euro députés. L'occasion de décider d'une Europe forte et unie, qui crois en un avenir commun et en ses valeurs fondatrices. L'occasion de ne pas abandonner l'Ukraine face à ceux qui prônent le repli identitaire et le chacun pour soi.
Edit: Les troupes de défense Ukrainienne se sont retirées d’Avdïivka le 17 février.
PS: France TV diffuse la série franco-germano-belge Parlement qui nous plonge dans les entrailles du fonctionnement du parlement Européen à travers Samy, jeune assistant parlementaire fraîchement élu. À la fois drôle et instructive, elle permet de mieux nous rendre compte de nos institutions, de ses pouvoirs, des jeux politiques, mais aussi de ses limites.