Cœur de béton

Friday, 22 December 2023
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Écrit par
Grégory Soutadé

Marguerite

La COP 28 vient de s'achever sur un accord "historique" prévoyant une transition vers la sortie des énergies fossiles et atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. Personne n'est dupe quant aux engagements pris par des états producteurs d'énergies fossiles et des états hyper dépendants de ces dernières. Concernant les émissions de gaz à effet de serre, le grand public et les médias sont surtout focalisés sur le secteur du transport et du chauffage. Il est toutefois important de ne pas ignorer les autres sources émettrices comme l'acier ou le béton. Le sujet est abordé de manière intéressante dans l'émission Maman, j'ai arrêté l'avion ! en date du mercredi 6 décembre 2023.

On note ainsi que le béton émet 4% à 8% des émissions mondiales de CO2 et l'acier entre 7% et 9%, donc un total compris entre 11% et 17% (même si l'acier n'est pas exclusivement associé au béton). Au-delà des émissions brutes, il faut se poser la question de savoir ce que représente ces matériaux dans notre société. Dans le monde occidental et ses influences, le béton de ciment et l'acier sont à la base de constructions solides et modernes. Cet alliance a ainsi remplacé le traditionnel couple pierre/brique - mortier (traditionnel) car il peut facilement être fabriqué en quantité industrielle et coulé selon les formes choisies (par coffrage) en nécessitant un effort moindre, tout en ayant de bonnes propriétés physiques et en permettant d'obtenir des structures plus fines : gain de temps et de main d'œuvre ! Il est ainsi le socle fondateur de toutes nouvelles constructions.

Côté inconvénients, il y a bien sûr les émissions de CO2 (avec notamment une cuisson pouvant atteindre 1500°C), mais également le fait que le béton nécessite du sable. Hors, le sable disponible en quantité astronomique sur terre, notamment dans le désert du Sahara, est impropre à sa fabrication. Ainsi, les méga buildings du moyen orient ont nécessités l'importation de sable venu de l'autre bout du monde (notamment l'Australie). De manière générale, ce sable est prélevé dans les fonds marins, ce qui perturbe (voire détruit) les éco systèmes présents sur place ! Un autre problème des constructions est l'artificialisation des sols. Celle-ci se fait à la fois au dessus de la terre (avec au moins un étage), mais également en profondeur du fait de la nécessité de creuser des fondations (remplacement de la terre par du béton). Le sol ne respire plus, il n'y a plus d'organismes vivants pour faire fonctionner le cycle de la vie et effet pervers en sus, le béton stocke et émet de la chaleur !

Pourtant, il faut bien loger les gens et leur offrir des infrastructures. L'idée la plus simple est une hyper concentration de la population dans des grandes villes pour limiter l'empreinte au sol. Ceci impose une vie en communauté forte avec des espaces privatifs plutôt restreints. Si la ville offre l'avantage d'avoir des lieux dynamiques et une multitude de services proches, l'inconvénient est que chacun se doit de respecter des règles plus strictes pour ne pas empiéter sur les libertés des voisins. Malheureusement, il y a toujours un faible pourcentage de la population ne respectant pas ces règles (même de manière intermittente), et donc, plus la population augmente, plus le nombre de personnes inciviles augmente. On cherche donc naturellement à avoir plus d'espaces privés et un lien plus limité avec le voisinage : formulation qui se traduit par la maison individuelle. Le ratio empreinte au sol/personne est dans ce cas clairement très mauvais. Surtout que l'on ne mutualise pas certaines ressources comme le chauffage. Cela augmente également le morcellement et le cloisonnement du territoire ; la faune sauvage ne peut non plus seulement vivre à cet endroit, mais elle ne pourra même plus y accéder ! C'est ainsi une perte sèche pour la biodiversité (faune et flore).

Une alternative de construction est proposée en fin d'émission : le mur de carton. Certes, le carton a une réputation bas de gamme. Il n'en est rien ici ! Suffisamment épais et construit avec une structure alvéolée, il offre des propriétés d'isolation à la fois thermique et phonique excellentes. Il faudra bien sûr lui adjoindre une fine couche d'isolation pour éviter le contact avec l'eau, mais sa légèreté lui permet d'être embarqué dans une structure en bois. L'ensemble peut également être posé sur pilotis afin de laisser respirer le sol et d'éviter d'avoir à creuser des fondations. Le bilan en terme de ressources renouvelables est donc très bon. Reste à voir le passage à l'échelle, la possibilité de construire en hauteur et les retours d'expériences sur une période longue (actuellement il n'y a que quelques maisons pilotes).

Mais, au-delà de ces aspects techniques, l'urbanisme est au cœur du fondement de nos sociétés. Le besoin d'être dans un environnement dynamique évolue au fil de nos existences. De manière générale, il est fort pendant la période 15 ans - 40 ans, plus faible en dehors. Pourtant, la construction personnelle (et par extension, celle de la société) se joue principalement entre 0 et 10 ans. Alors, comment réagit-on quand on nous parle de "protection de la nature" si on n'a jamais été en contact avec elle ? Si elle n'est présente qu'à travers des images ? De manière assez indifférente, car on n'a pas crée de liens. En effet, on ne protège que ce que l'on connait : un proche malade ou en danger sera notre priorité. Un étranger à l'autre bout du monde ne suscitera qu'une émotion éphémère. Pourtant, nous faisons partie intégrante de la nature. À la question Quel animal aimeriez-vous être ?, notre imaginaire nous pousse soit vers des animaux domestiques, soit vers des animaux sauvages (à priori puissants), alors qu'en réalité nous faisons déjà parti du règne animal !

Les personnes qui naissent et grandissent dans une mer de béton ne construisent plus ce lien avec la nature. Selon les dirigeants locaux et leur politique, l'urbanisme leur permettra peut-être d'accéder à des espaces verts. Encore faut-il qu'ils soient assez grands et diversifiés pour accueillir la faune sauvage. Dans ce cas, c'est un jardin commun qui apporte également de la fraîcheur. Il en va de même pour les jardins privatifs : ils permettent une première approche de l'environnement. Néanmoins, du gazon et une piscine sont des terres mortes. Le compromis est donc difficile à trouver, plus encore dans une société à croissance exponentielle. Mais à ce jeu là, il ne faut pas oublier que la nature gagne toujours, quitte à tout détruire pour se reconstruire dans les prochains millénaires.

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