En ayant marre de se retrouver régulièrement à deux aux répétitions (et après avoir ... le bassiste), Laurent Lacrouts alias "Malcolm" et Mathieu Jourdain alias "Phil" décident de fonder The Inspector Cluzo (TIC). Mais TIC, c'est avant tout deux Gascons amoureux de leurs racines : la bonne bouffe, l'armagnac, le rugby, la course landaise et surtout, surtout un groove du tonnerre. Les deux potes sont connus mondialement et paradoxalement très peu médiatisé en France. Ces amateurs du Fais-Le-Toi-Même (DIY) sortent depuis 2008 des petites merveilles et tournent à l'international où ils produisent un rock dans la plus pure tradition. Il ne s'agit pas du rock moderne, qui n'est autre que du pop-rock, mais d'un rock des origines : dynamique, agressif, fort afin (d'essayer) de faire passer un message, souvent traité de façon humoristique (comme peut l'attester l'ensemble des clips du groupe, qui tirent parfois sur le gore...), car, oui, le groupe est clairement politisé. Mais, The Inspector Cluzo sait aussi sortir des sentiers battus avec le support des cuivres qui donnent une touche funky vraiment sympa. De plus, l'amplitude vocale de Laurent est vraiment impressionnante (quand il n'en abuse pas).
The Inspector Cluzo ne sort pas des albums, mais des œuvres complètes. Chaque album œuvre bénéficie d'un travail esthétique remarquable, qui en font un objet unique. Je conseille fortement de les commander directement sur leur site afin d'en profiter, car ça vaut vraiment le coup.
The Inspector Cluzo (2008)
Premier album pour les deux compères. Personnellement, je trouve qu'ils cherchent encore leurs marques, le concept de TIC n'est pas aussi net que sur les suivant. Le style de la pochette est d'ailleurs assez sobre, plutôt commun en fait.
On commence par une petite introduction (normal, personne ne les connaît). Puis, le second morceau un peu plus rock, mais toujours en alternant des passages tranquilles, à l'image de la première partie de l'album très funky. Le quatrième titre est l'occasion de montrer tout l'amour qu'ils portent aux bassistes. Le tournant vient assurément de "Two days" : un son qui déchire tout, même s'il y a de l'abus dans les aigus. Deuxième partie donc plus rock avec pour commencer un "Yourself". "Us Food" montre tout le style humoristique de TIC. On finit en douceur avec "Change N°2".
The French Bastards (2010)
Deux ans plus tard, sort le deuxième album de The Inspector Cluzo. Plus mûr, il fait presque passer le premier pour une "démo". Le concept est en place : on a droit à une pochette qui s'ouvre pour laisser place à plusieurs fiches style cartoon (une par titre). La jaquette du CD est elle aussi très cartoonesque. On est loin de ce qu'on trouve normalement dans le commerce ! N'ayons pas peur des mots : cet album est une tuerie. Ils ont même corrigé le problème des aigus qui sont beaucoup plus juste et introduits plus de gueulante, le tout sans oublier le côté funky qui fait tout le charme du groupe.
Dès le début on remarque que le son est plus propre et encore plus rock, les cuivres ne sont pas en reste pour autant ! Le deuxième titre éponyme a droit à son cartoon : c'est bon, on a trouvé ce qu'était TIC ! Le titre s'est très bien placé dans les charts étrangers même s'il est inconnu en France... "Empathy Blues" est une autre merveille de l'album : agressif à souhait et doux quand c'est nécessaire. La suivante à la AC/DC est très entraînante. Après un "hommage" à Michael Jackson, on enchaîne sur un "hommage" aux traders, pour arriver sur la troisième pépite de l'album : "Zombies DJ's Killers" qui montre tout le potentiel d'innovation de The Inspector Cluzo. On retrouve du gros son sur le neuvième titre. Dernière merveille avec "He's not the man". TIC n'aime pas vraiment le foot, pourtant il rend hommage (et un vrai cette fois) à Lilian Thuram, ou alors il s'agit d'un pamphlet sur les supporters, chacun se fera son opinion. L'album termine sur un titre étrange "The French Bastards #2" : un monologue en Anglais qui n'apporte rien d'intéressant. C'est dommage de finir sur une note négative.
The 2 Mousquetaires (2012)
The Inspector Cluzo revient et il n'est pas content ! Les deux mousquetaires de Gascogne veulent défendre leur terre, leur peuple et leurs traditions face à une mondialisation grandissante. Cet album est aussi une occasion d'inaugurer le format BD pour la pochette. Pour chaque morceau, on a droit à une ou deux pages d'illustration. Si c'est une bonne idée, on y perd au passage les paroles. Côté musical, cet opus fait la part belle aux cuivres, ce qui le rend moins agressif que les premiers, même s'il conserve toute la patate des Cluzos ! On trouve aussi des intros/fins en Gascon qui viennent ponctuer l'album. La voix a elle aussi évolué dans les graves. On a du mal à se dire que c'est la même personne que sur les deux premiers.
L'album part sur les chapeaux de roues avec deux premiers morceaux très percutants. Le troisième est un délice de cuivres. TIC nous offre encore une fois une pépite musicale avec la parodie de "Téléfoot", à voir et à ré écouter tellement le clip est génial ! "Why a vulgar french band cannot play shitty" est l'occasion de revenir sur quelque chose de plus agressif toujours avec une déferlante de cuivres. Si l'inspecteur n'aime pas Sarko, il n'en est pas de même pour sa seconde épouse... Petit délire du groupe qui a préparé ce "Fuck The Bobo" spécialement pour la scène. Le suivant est un extrait arrangé du premier titre du premier album, il aurait tout à fait sa place en introduction. On alterne ensuite entre funk et rock puissant. Enfin, depuis que TIC dit défendre ses racines, on n'avait aucune chanson en Gascon ! Ils concluent donc cet album en réparant cette boulette.
Gasconha Rocks (2013)
Il n'aura fallu qu'un an à TIC pour sortir un nouvel album. Nouvel album, nouvelle inspiration. Celui-ci est très rock'n roll et délaisse un peu les cuivres (ce qui donne moins de volume à l'ensemble). C'est néanmoins un très bon cru, mais avec seulement 25 minutes tout mouillé, on reste un peu sur notre faim... Il aurait peut être fallu un an de maturation supplémentaire (mais on ne va pas s'en plaindre !). Comme le précédent, il s'accompagne d'une pochette au format BD avec une illustration et/ou un cliché (superbe) par morceau, ainsi que les paroles cette fois ! C'est ce qui rend le groupe différent et génial à la fois.
The Inspector Cluzo étant principalement un groupe de scène, on a droit en top bonus moumoute à un reportage vidéo ("A fight for independance") d'une heure qui retrace la tournée précédente. Ce reportage fait un gros point sur les personnes (producteurs, programmateurs de festival, amis...) qui ont découvert Cluzo ces dernières années (l'occasion de s'envoyer quelques fleurs !!). Il y a aussi un gros passage sur le DIY (Do It Yourself) des Cluzos pour finalement terminer sur les limites du modèle actuel (petite séance d'auto critique). C'est dommage de ne pas avoir montré plus de parties de concerts. En effet, on n'a souvent droit qu'à des intros ou fins, forcément explosives. En tout cas, on peut voir l'énorme travail qu'abat le groupe dans et en dehors des concerts !
Le premier morceau nous met l'eau à la bouche. Les 4 titres suivants sont sympa, mais moins percutants que sur les albums précédents. Après un interlude musical fort intéressant et qui signe le retour des cuivres, on attaque les choses sérieuses par un excellent "The duck guit blues", ça sonne blues, ça sonne fort, ça sonne bon ! Puis, ils reviennent sur des bases plus agressives (qui a dit Mosanto ?). À la "DJ zombies killer", "Better Off in Afghanistan" sort de nulle part pour notre plus grand bonheur. Comme souvent, on fini sur un morceau plus calme et très émouvant pour le coup.
Rockfarmers (2016)
Pour reprendre la présentation officielle, Rockfarmers a été écrit et composé durant la tournée Gasconha Rocks (2013-2015), c'est-à-dire aux quatre coins du monde ! Pour cet opus, les Gascons ont eu la chance d'être mixés par Vance Powell à Nashville dans le Tenessee. Ce dernier a travaillé avec (entre autres) The Raconteurs, The White Stripes et les Arctic Monkeys. Le mixage a, comme l'enregistrement, été effectué avec du matériel 100% analogique, qui donne ce fameux grain à certains morceaux.
Côté visuel, c'est encore une fois une grosse claque. Abu, le dessinateur a pu passer un mois à la ferme Lou Casse. Les croquis semi colorisés ressortent superbement à côté des photos du livre de 40 pages au format 24cmx24cm d'une qualité irréprochable. De quoi balancer à la poubelle les miteuses pochettes carton ainsi que les boîtes CD plastiques au format standard qui se font traditionnellement.
Outre les paroles, le livre contient deux CD audio (pour 1h05 de musique) à l’effigie de Laurent et Mathieu, ainsi qu'un documentaire réalisé, lui aussi, lors de la tournée mondiale. Seul regret, ils sont insérés dans des pochettes carton (on y revient !) collées, ce qui les rend assez fragiles et difficile à manipuler (faites des sauvegardes !). À noter que les morceaux sont assez longs (4-5 minutes en moyenne).
Le tout est sorti officiellement en février 2016, mais des lots (avec du foie gras) étaient disponibles durant la période de noël. Et parce que ça n'apporte rien, mais que c'est à la modeclasse, une version vinyle existe également.
Voilà, tout est dit... Gasconha Rocks était déjà un peu plus sombre que les précédents opus, ici on abandonne complètement les cuivres. Pour innover, il y a quelques instruments acoustiques (guitare, banjo, harmonica...), une chorale d'enfants, mais l'esprit originel et original, sympa, agressif, fou, vitaminé, festif de The Inspector Cluzo se noie dans un rock lent et souvent dépressif. Laurent retrouve aussi son principal défaut : une montée dans les aigus tout à fait désagréable, bien que le tout soit compressé pour ne pas faire exploser les enceintes.
Seuls quelques titres méritent le détour : l'introduction très oisive ;) qui entame sur du bon rock, le second morceau avec un refrain accrocheur. "Lost In Traditions" annonçait pourtant un blues sympa, mais aurait mérité d'être amputé d'une bonne minute. On sautera directement au second titre du deuxième disque pour entendre un rock plutôt sympathique gâché par les chœurs. Dans un registre plus classique, "Quit The Rat Race" propose du bon rock à l'ancienne (un des rares titres qui sauve l'album). L'hommage à leur dessinateur de toujours, Abu, est un long solo avec des choeurs tristesspirituels. Pour terminer, on fera abstraction du chant sur "Romana" pour écouter une compo jazzy très fraîche.
Grosse déception donc pour cet opus. TIC a voulu faire les choses en grand, mais a oublié les fondamentaux comme qui dirait. Il ne reste qu'à se rabattre sur le foie gras d'oie de Lou Casse pour se consoler !
We The People Of The Soil (2018)
10 ans, ça se fête ! À cet effet, les Cluzo sont retournés dans le Tenesee, chez Vance Powell déjà responsable de "Rockfarmers". On peut donc s'attendre à retrouver les mêmes ingrédients pour ce nouvel album. C'est le cas, ceux qui ont aimé le précédent n'en seront que plus conquis. Pour les 10 ans, le duo a voulu marquer encore plus profondément leur ancrage à la terre (the soil), on retrouve donc une musique plus folk/blues, avec une présence forte de la guitare sèche ainsi que la thématique paysanne, l'amitié, l'entraide.
Force est de reconnaître la qualité exceptionnelle de la production. Il y a un fossé très clair avec "Rockfarmers", plus brut de décoffrage, tandis que cet opus offre un son lisse où chaque élément est à sa place. Les mélodies sont beaucoup plus travaillées que précédemment (tout album confondu). Le résultat donne un style rock/blues fusion puissant avec des refrains très doux dûs en partie à un nouveau venu : l'orgue (de type hammond b3). Si on en avait eu un aperçu précédemment, elle est désormais présente dans la plupart des titres. Le premier, "A Man Outstanding In His Field", en est le meilleur exemple avec toute la palette de nuances qu'offre les 40 minutes de l'album. Mais pas que, on trouve beaucoup de ballades : presque la moitié des chansons, avec comme figure de proue "Little Girl And The Whistling Train", ainsi que quelques surprises, comme la participation de Marianne Dissard pour un super duo sur "The Best".
Les fans de la première heure seront peut-être déçus de cette compression excessive du son, mais où est la rock bordel ?? Il est pourtant présent, de manière très propre, relativement profond et énergique. À ce sujet, deux titres sortent du lot : "Pressure on Madalands" proposant un rock psyché avec un son volontairement "crade" et "The Globalisation blues" qui se rapproche plus de "Rockfarmers". Autre élément à souligner, le travail exceptionnel de Laurent quant à sa voix. Certes, les ballades qu'il interprète ne requièrent pas de monter trop haut dans les aiguës, mais la maîtrise qu'il pose sur chaque morceau est énorme. Malheureusement, le final est bâclé avec un chant clairement faux (il fallait passer moins de temps à la piscine et plus en studio).
Autre bémol : malgré sa très bonne qualité d'impression, les pages du livret sont imprimées à l'envers. Livret qui reprend le même format que pour l'album précédent, à savoir un melting pot de photos en noir et blanc et d'aquarelles de leur ami Abu.
N'ayant pas pu l'écouter plus tôt, je ne comprenais pas l'engouement de la presse (L'obs, les inrockuptibles, FIP de la FNAC, C À Vous, France Inter ...) pour ce 6e cru. Mais avec autant d'éléments "mainstream", il est clair que ce dernier sera apprécié d'un large public !
Les Cluzo proposent un pack spécial "10 ans" (en édition limitée), comprenant l'album, 10cl d'Armagnac ainsi que le livre "The Inspector Cluzo - Rockfarmers" de Romain Lejeune (les Inrockuptibles). À la base, il s'agissait d'un article voulu par le journaliste qui donnera finalement lieu, de part la masse d'information recueillie, à l'édition d'une biographie complète du groupe, des deux hommes et de leur parcours formateur jusqu'à la réalisation de leur dernier opus. Un peu réticent au début, je conseille fortement de le commander car il permet de comprendre le cheminement humain des deux "frères". Les premiers chapitres apportent beaucoup d'informations intéressantes, des anecdotes croustillantes. Les derniers étant malheureusement trop redondants concernant le message et le mode de vie des deux fermiers rockeurs : chaque témoignage, bien qu'il émane d'une personnalité reconnue, ressemble au précédent. Une relecture un peu plus attentive aurait également été souhaitée pour corriger les fautes qui émaillent l'ensemble de l'ouvrage ainsi que la fausse transition vers "We the people of the soil", car ce n'est pas avec cet album, mais bien avec "Rockfarmers" que le groupe a signé sa première collaboration avec Vance Powell.
L'Armagnac est à l'image de l'album : d'un équilibre saisissant. D'une belle robe ambrée parée de jambes très lourdes, la bouche offre un bouquet assez riche de fruits compotés pour finir sur une touche légèrement épicée. L'alcool se fait discret, un peu trop présent au nez peut être. Il s'agit d'une cuvée spéciale provenant de la distillerie "La Tuilerie" dont The Inspector Cluzo est partenaire depuis le début. Malheureusement il n'y a pas plus d'informations sur l'étiquette.
Brothers In Ideals (2020)
La genèse de Brothers In Ideals se trouve dans la tournée réalisée à l'occasion de la sortie (et de la promo) de We The People Of The Soil. Certains morceaux sont alors joués de façon acoustique, ce qui semble plaire au public. S'en suit la tournée aux États-Unis sous la houlette de Clutch. C'est l'occasion de passer voir Vance Powell dans le Tennessee, lui qui a déjà contribué aux deux albums précédents. Ils décident alors, pour le plaisir dans un premier temps, d'enregistrer de nouveau l'intégralité de We The People Of The Soil en acoustique (en version unplugged). Deux jours suffisent. Visiblement, le résultat étant suffisamment qualitatif, et surtout déjà enregistré, alors pourquoi ne pas le sortir ? C'est ce qui est décidé. Le temps de caler une nouvelle tournée pour 2020 (100 dates en 2019), c'est donc le 17 janvier que devient disponible ce 7e album. 14 dates sont prévues en France, 5 dans la foulée au Royaume-Uni et encore bien d'autres à partir de l'été (dont une représentation au HellFest).
Bref, le succès est clairement au rendez-vous ! Qu'en est-il de ce nouvel opus ? Sans surprise, les morceaux (paroles et mélodies) sont connues. Pour autant, le rendu est totalement différent. Là où We The People Of The Soil apparaît très brut de décoffrage, son pendant acoustique apporte beaucoup de douceur et de profondeur aux différents morceaux. La grande nouveauté réside dans le fait qu'il ne s'agit plus d'un duo, mais d'un quintet avec la venue d'un violon, d'une contrebasse et d'une orgue électronique. Exit la guitare électrique, bonjour la guitare sèche. Le style bascule sur de la "folk". Quelques points noirs subsistent comme certaines montées dans les aigus (comme dans Ideologies) toujours aussi désagréable.
Mais ne boudons pas notre plaisir, c'est un album tout à fait délicieux qui se laisse écouter sans aucun problème autant en premier qu'en arrière plan. Note spéciale pour Globalisation Blues qui conserve toutes ses qualités. D'un point de vue général, chaque instrument occupe parfaitement sa place (le violon un peu trop présent parfois comme sur No Deals At The Crossroads). L'orgue remplace allègrement la guitare électrique, et souligne la mélodie. La contrebasse apporte un appui et une douceur très agréable. Les parties rythmiques, plus jazzy, sont parfaitement maîtrisées. Il n'en reste que les deux derniers morceaux sont toujours aussi décevants.
Il faudra attendre quelques années et le prochain album, néanmoins il est amusant de retracer la trajectoire musicale des deux compères qui sont partis d'un funk endiablé pour progressivement passer vers du rock puis blues/rock et finalement de la folk. Chaque transformation s'apparente à une décennie de leur vie, de maturation intérieure et du monde qui les entoure.