Samedi soir, 22h30, l'alcool faisant son effet, les voisins braillent près de leur fenêtre. Nous sommes en automne heureusement, les fenêtres sont fermées. Malheureusement le bruit n'est pas complètement filtré. Pas très fort, mais je suis dans la phase critique d'endormissement. Si cela ne s'arrête pas d'ici 30 minutes, il faudra beaucoup de temps pour trouver le sommeil. Vers minuit le calme revient, énervé, il va se passer encore une petite heure avant de rejoindre Morphée. Pourquoi ce soir après des semaines de calme ? Pourquoi la veille de la plus grosse échéance de l'année ? La nuit n'a pas été très bonne, il a fait chaud (24°C en pic fin octobre !), je suis sorti plusieurs fois de mon sommeil. Déjà alerte, le réveil programmé à 6h45 n'aura pas le temps de se déclencher. Petite pesée matinale, simple curiosité. La balance affiche sournoisement un 66,6kg (ramené à 65,7kg en seconde pesée), j'ai pris un peu de poids... pas terrible. C'est au tour du chat de miauler frénétiquement. Peu enclin à lutter, il sortira plus tôt aujourd'hui. Le déjeuner se passe bien, j'avais tout préparé la veille. J'enfile mon t-shirt (édition 2018) et mon short. Au moment de serrer le nœud, celui-ci se déchire sur presque 10cm au niveau du cordon. On fera avec... Arrivée à Cannes vers 8h15, la circulation est fluide le dimanche matin, même au niveau du marché de Rocheville. Par chance la plupart des feux étaient au vert. Le ciel est voilé, il fait "chaud" (19°C/20°C), le vent est légèrement perceptible. Les conditions, sans être optimales, sont bonnes. Après avoir été fouillé, direction le stand pour récupérer le dossard. Les enceintes gueulent de partout, pas très agréable. Ah, il faut le bon de convocation. Je ne l'ai pas ... mais j'ai ma carte d'identité, changement de file. La personne en charge des demandes "spéciales" court partout, elle n'est pas très organisée. Finalement, je récupère la convocation sur mon téléphone, re changement de file. Dossard introuvable ! Je ne sais pas qui a buggué, le lien de téléchargement me renvoie la convocation de l'année dernière !!! Re re changement de file, départ dans moins de 15 minutes. C'est l'heure de prendre une barre et de commencer l'échauffement, tant pis pour l'échauffement. J'hésite à aller directement me ré inscrire, mais je n'ai pas mon certificat médical sur moi. Finalement je suis bien sur la liste, dossard 1041. Re re re changement de file pour récupérer mon sésame. Je le poinçonne moins délicatement qu'à l'habitude, pas le temps. Où est la consigne ? Il n'y en a pas me répond un bénévole, "vous devrez courir avec votre sac" ... (mais bien sûr !). Après plusieurs tractations infructueuses, le stand de l'AC Cannes accepte très gentiment que je le dépose (un grand merci à eux), il sera sans surveillance. Tant pis ! Il ne reste que 5 minutes avant le départ, échauffement express. Les 520 participants sont en train de se placer. Pas question de partir derrière, je me faufile jusqu'aux premiers rangs. Tiens, un collègue du travail ! On discute un peu, je commence à avoir soif. Il vise à peu près le même temps que moi (même si ça reste une course d'entraînement pour le semi de la semaine prochaine), chouet on va avoir mutuellement un point de repère. Le départ est donné à 9h pétante. Je m'élance un peu vite, histoire de se placer, avant de rapidement redescendre à mon rythme. Arf, je sens la barre qui flotte dans mon estomac, elle n'y restera pas très longtemps. Un train arrive en gare de Cannes, il actionne son klaxon en signe d'encouragement. Les 4 premiers kilomètres se passent sans difficulté malgré le tempo élevé. Vers les 4,5km/5km ça commence à devenir difficile, surtout au niveau du cardio. 5km : j'ai désormais 10 secondes d'avance sur le temps que je m'étais fixé. J'en avais espéré 20 à 25 afin d'absorber le probable ralentissement de la fin de course. Kilomètres 5, 6 et 7, j'oscille entre 7 et 9 secondes d'avance. C'est la partie la plus difficile, le cardio est à 100%, les jambes demandent à ralentir. Il ne faut surtout pas lâcher, il faut garder le rythme, "le rythme, le rythme". Je ne peux pas défaillir maintenant, pas après 1 an de préparation, pas après tous ces efforts, il faut tenir, au moins jusqu'au kilomètre 8. Je m'accroche au regard des coureurs sur la voie opposée pour me changer les idées. Mais jamais il arrive ce kilomètre 8 ??? C'est interminable, il fait chaud, les jambes sont molles, il faut vraiment se forcer pour les tirer. Je vois au loin les immeubles, la ligne d'arrivée est proche. Finalement, c'est le point de repère du kilomètre 8, enfin ! Plus que 9 minutes de course, il faut tenir encore un peu, j'ai un matelas suffisant pour y arriver. J'attends avec impatiente le point de bascule en légère descente du kilomètre 9. Je dépasse la 5e féminine. Il y a un concurrent avec 20m/30m d'avance, je suis sûr que je peux le doubler avant la fin. Le groupe qui était devant lui a déjà commencé à accélérer, je ne les reverrai plus. Ça y est, il y a le petit bâtiment de la SNCF, légère descente, on est au kilomètre 9. J'ai réussi à doubler mon vis-à-vis. Coup d'œil sur la montre, encore 8 secondes d'avance, hourra, sauf accident, je vais atteindre mon objectif ! Dernier kilomètre dans la zone rouge, 4'13 de sprint avec uniquement la ligne d'arrivée en point de mire. Je voulais absorber un maximum de temps pour passer officiellement sous la barre des 45'. La montre affiche un léger décalage à l'arrivée, je la bloque à 9,99km, la réactive et la désactive de nouveau pour être sûr qu'elle enregistre bien un 10km, cela fausse un peu les stats. Pas grave, j'ai de la marge. Je comate légèrement penché sur la barrière en essayant de retrouver mon souffle. Le suivant me double, il a 7 secondes de retard. Mon collègue n'était pas préparé spécifiquement pour le 10km et a un peu lâché aux 6km, mais il arrive quand même moins de 2 minutes plus tard. On discute un peu, je récupère mon sac (encore merci), c'est l'heure de rentrer. On ne peut pas sortir par l'entrée (!!!), il faut donc faire le tour. Au passage, je croise David Lisnard qui vient pour la remise des récompenses. Il n'a pas participé cette année (pourtant le marathon est dans une semaine). Un petit salut et direction le parking. Il faut monter deux étages, j'ai des crampes ! Obligé de m'arrêter pour ventiler. Le retour se fera sans encombres, ce qui était loin d'être gagné vu tous les signes négatifs envoyés.
C'est dans la nature de l'Homme d'en vouloir toujours plus : plus de richesses, plus de pouvoir, plus de biens, plus de terres, être plus fort, aller plus loin, plus vite. Je confesse ne pas y échapper : mon objectif était de réaliser moins de 45' sur 10km. Mais finalement, à quoi ça sert de vouloir aller toujours plus vite ? Et bien, ça ne sert à rien ! Pour la vie de tous les jours, Il n'y a aucune utilité à courir aussi rapidement une distance relativement courte. D'autant plus qu'il faut des conditions et un équipement particulier. Pourtant, ce qui est important n'est pas tant le but que le chemin parcouru. Il y a quatre ans (en 2018), j'ai pris conscience que cette barre des 45' était atteignable. Jusqu'alors je l'avais dans un coin de la tête sans vraiment y prêter attention car j'en étais habituellement assez loin. Ce jour là, j'échouais pour 25 secondes... L'année suivante, trop tendu, je me suis bloqué le dos les jours précédents (problème de sciatique). Puis, le confinement fut déclaré pour l'édition 2020. Dans la foulée je me faisais une grosse entorse de la cheville. Ce fut clairement un tournant, positif pour certains aspects. J'ai dû en effet revoir mes plans d'entraînement et réduire la voilure sur la partie "trail" : plus de plat et de cardio (pour la rééducation). La préparation courte et les conditions moyennes de course (vent fort) ont rendu l'édition 2021 très agréable car aucune pression de résultat. Avec ce retour d'expérience, j'ai ré orienté ma préparation estivale 2022 uniquement pour Odyssea, avec une intensification en septembre/octobre, notamment en mettant (temporairement) de côté le tag. C'est donc tout ce travail, ces petits sacrifices hebdomadaires (surtout les jours où on n'a clairement pas envie) qui ont payé le jour J. Ce qui rend la performance encore plus remarquable est le fait que j'étais dans l'incertitude avant le départ car je n'ai jamais tenu cette cadence. Selon mon plan, j'estimais que si j'arrivais à boucler un 10km sur mon circuit d’entraînement (plat/terre battue) avec une allure moyenne comprise entre 4'45 et 4'40, je devrais pouvoir réaliser 4'30 sur goudron. Avec un 4'38, puis un 4'36 une semaine avant Odyssea, je savais que j'étais sur la bonne trajectoire. Mais encore fallait-il confirmer ! D'autant plus qu'il n'y a qu'une édition par an et qu'avec les années, ma capacité à aller vite va diminuer. C'est un petit peu la même chose pour nos agriculteurs qui travaillent toute l'année et dont les récoltes peuvent être détruites en quelques heures. La recherche de performance implique une capacité de travail, de sacrifices, la nécessité de surveiller son alimentation (sans forcement s'imposer des privations), d'avoir une bonne hygiène de vie tout au long de l'année, d'arriver à dépasser ses limites. Le plus pénible étant l'endurance face à la souffrance : en prenant le départ, on sait que ça va être difficile, qu'il faudra être à 100% de son effort jusqu'à la fin. On pourrait faire un parallèle avec la vie : être capable de traverser les tempêtes en courbant le dos et en sortir plus fort. Travailler dur pour atteindre ses objectifs. Parallèle qui atteint vite ses limites. Le sport reste une activité physique et le physique est quelque chose de très rationnel. En suivant un plan d’entraînement adéquat, on peut atteindre beaucoup d'objectifs. Particulièrement dans la course à pied qui est un sport sans intelligence (mais qui permet de gagner du physique). Sans pratiquer, on n'imagine pas à quel point il est possible d'arriver loin dans les performances avec du travail, à quel point notre corps regorge de ressources cachées. La vie quant à elle recèle de beaucoup plus d'impondérables, de plafonds de verre et de situations difficiles à gérer. C'est une source de motivation que j'utilise particulièrement sur Odyssea : quand le cardio est à fond, que les jambes ont du mal à maintenir le rythme imposé par la tête, le corps est en souffrance. Pourtant, cette souffrance est bien dérisoire face à une chimio. Pour moi, ce sera terminé dans 20', dans 9', dans 5', pas dans 2/3/6/9 mois de traitement, et sans risque de rechute... Le sport aide à maintenir son corps en bon forme physique et permet de réduire les affections médicales (c'est ce que je ressens en tout cas), surtout dans un monde sédentaire. Il fait partie intégrante d'un équilibre de vie, nécessaire même. Sortir, se changer les idées, respirer, être dans la nature, apprendre à écouter et connaître son corps. Le côté obscur étant qu'il devient addictif quand on acquiert un niveau correct, ce qui nous pousse à se donner des objectifs toujours plus importants. C'est pourquoi il ne faut pas oublier que les sacrifices concédés (particulièrement à l'approche des compétitions) se font en général au détriment de l'entourage proche. Il faut donc veiller à trouver le bon équilibre entre recherche de performance et vie sociale.